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dimanche 15 mai 2016

ADIEU, CULTURE , MA DAME

Quand j’étais petit j’écoutais parler les grandes personnes.

Elle, un jour, ouvrirait ses portes,
pour que moi j’entre, enfin, à la vie.
Jeune prince entrant au palais qui lui correspond.

Moi je grandissais
et mes amis grandissaient
et tout était espérance.

Nous étions anéantis par une illusion :

Elle, un jour ouvrirait ses jambes, ses portes, ses fenêtres
et nous nous entrerions en ELLE comme ELLE en nous
et, à cet instant, le règne des cieux sur la terre
serait la culture.

Avec le temps, attendant et faisant nos choses,
-espérant le jour, faisant nos choses la nuit-
nous avons transformé toutes les illusions en drapeaux.

Nous sommes sortis dans la rue pour crier :
La culture est à nous !
La poésie au peuple !
La femme à la poésie !

Nous criions de tout, ensuite,
nous avons perçu les hurlements d’Hiroshima,
appauvrissant n’importe quelle douleur.
Nous avons cessé de crier.
Les dents serrées,
avec une palpitation intérieure incroyable,
comme si la vie c’était cela, serrer les dents.

Dans la quiétude de ce silence les années sont passées.

Nous étions obstinés, nous aimions avec ferveur les illusions
et cette passion parmi les glaces,
feu brutal qui me survit encore
et chante dans le propre centre du silence mortel,
-qui me saisit pour me tuer-
une chanson,
la dernière, entre tes bras.

Adieu,
vieille jouissance de mon enfance
lorsque je pensais arriver aux étoiles.
ma dame, je garderai dans mon cœur les traces
d’avoir fait l’amour avec vous et un jour,
on ne me le pardonnera pas et, cependant, je me confesse :

J’ai été heureux entre vos chairs de violettes.

Combien de fois un sonnet a fait éclater mon cœur d’avenir.

Combien de fois l’harmonie, la parfaite harmonie, votre Dieu,
a fait que de mes yeux tombe une larme.

Et en berçant mes enfants,
j’ai su réciter, en mesure,
des grands poètes, les meilleurs vers.

Et j’ai voyagé par les syllabes en cherchant la longitude exacte de la  nuit.
Et j’ai calculé le destin d’une voyelle durant des années.
Et je me suis attaché aux mots.
Et j’ai vécu ligoté entre les feuilles des livres.
Si j’avais continué sur ce chemin j’aurais atteint la gloire,
mais, un soir, inexplicablement, j’ai commencé à grandir.

Les mots ne tenaient pas dans les phrases.
Les phrases tombaient de la page.

Mes sentiments élargissaient le cœur du monde dangereusement.

Et en marchant,
je trébuchais sur les mots
                                         et je tombais.
                                                            Une fois
                                                                      et une fois encore.

Et les mots s’introduisaient dans mes yeux ouverts
et m’aveuglaient, et là,
précisément, vide de noirceurs,
transparence où la blancheur fait penser à l’enfer,
la Poésie m’a tendu la main et dans cette allégresse
-ivres de nous être rencontrés-
nous avons  rompu,
en chancelant ensemble, toutes les barrières. 

Elle, elle a déformé son être dans la rencontre
et moi,
j’ai livré ma vie dans l’adieu.

MIGUEL OSCAR MENASSA 



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