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samedi 28 juillet 2012

FERNANDO PESSOA : BUREAU DE TABAC



Je ne suis rien
Jamais je ne serai rien.
Je ne puis vouloir être rien.
Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde.


Fenêtres de ma chambre,
de ma chambre dans la fourmilière humaine unité ignorée
(et si l’on savait ce qu’elle est, que saurait-on de plus ?),
vous donnez sur le mystère d’une rue au va-et-vient continuel,
sur une rue inaccessible à toutes les pensées,
réelle, impossiblement réelle, précise, inconnaissablement précise,
avec le mystère des choses enfoui sous les pierres et les êtres,
avec la mort qui parsème les murs de moisissure et de cheveux blancs les humains,
avec le destin qui conduit la guimbarde de tout sur la route de rien.


Je suis aujourd’hui vaincu, comme si je connaissais la vérité;
lucide aujourd’hui, comme si j’étais à l’article de la mort,
n’ayant plus d’autre fraternité avec les choses
que celle d’un adieu, cette maison et ce côté de la rue
se muant en une file de wagons, avec un départ au sifflet venu du fond de ma tête,
un ébranlement de mes nerfs et un grincement de mes os qui démarrent.


Je suis aujourd’hui perplexe, comme qui a réfléchi, trouvé, puis oublié.
Je suis aujourd’hui partagé entre la loyauté que je dois
au Bureau de Tabac d’en face, en tant que chose extérieurement réelle
et la sensation que tout est songe, en tant que chose réelle vue du dedans.


J’ai tout raté.
Comme j’étais sans ambition, peut-être ce tout n’était-il rien.
Les bons principes qu’on m’a inculqués,
je les ai fuis par la fenêtre de la cour.
Je m’en fus aux champs avec de grands desseins,
mais là je n’ai trouvé qu’herbes et arbres,
et les gens, s’il y en avait, étaient pareils à tout le monde.
Je quitte la fenêtre, je m’assieds sur une chaise. À quoi penser ?


Que sais-je de ce que je serai, moi qui ne sais pas ce que je suis ?
Être ce que je pense ? Mais je crois être tant et tant !
Et il y en a tant qui se croient la même chose qu’il ne saurait y en avoir tant !
Un génie ? En ce moment
cent mille cerveaux se voient en songe génies comme moi-même
et l’histoire n’en retiendra, qui sait ?, même pas un ;
du fumier, voilà tout ce qui restera de tant de conquêtes futures.
Non, je ne crois pas en moi.
Dans tous les asiles il y a tant de fous possédés par tant de certitudes !
Moi, qui n’ai point de certitude , suis-je plus assuré, le suis-je moins ?
Non, même pas de ma personne…
En combien de mansardes et de non-mansardes du monde
n’y a-t-il à cette heure des génies-pour-soi-même rêvant ?
Combien d’aspirations hautes, lucides et nobles -
oui, authentiquement hautes, lucides et nobles -
et, qui sait peut-être réalisables…
qui ne verront jamais la lumière du soleil réel et qui
tomberont dans l’oreille des sourds ?
Le monde est à qui naît pour le conquérir,
et non pour qui rêve, fût-ce à bon droit, qu’il peut le conquérir.
J’ai rêvé plus que jamais Napoléon ne rêva.
Sur mon sein hypothétique j’ai pressé plus d’humanité que le Christ,
j’ai fait en secret des philosophies que nul Kant n’a rédigées,
mais je suis, peut-être à perpétuité, l’individu de la mansarde,
sans pour autant y avoir mon domicile :
je serai toujours celui qui n’était pas né pour ça ;
je serai toujours, sans plus, celui qui avait des dons ;
je serai toujours celui qui attendait qu’on lui ouvrît la porte
auprès d’un mur sans porte
et qui chanta la romance de l’Infini dans une basse-cour,
celui qui entendit la voix de Dieu dans un puits obstrué.
Croire en moi ? Pas plus qu’en rien…
Que la Nature déverse sur ma tête ardente
son soleil, sa pluie, le vent qui frôle mes cheveux ;
quant au reste, advienne que pourra, ou rien du tout…


Esclaves cardiaques des étoiles,
nous avons conquis l’univers avant de quitter nos draps,
mais nous nous éveillons et voilà qu’il est opaque,
nous nous éveillons et voici qu’il est étranger,
nous franchissons notre seuil et voici qu’il est la terre entière,
plus le système solaire et la Voie lactée et le Vague Illimité.


(Mange des chocolats, fillette ;
mange des chocolats !
Dis-toi bien qu’il n’est d’autre métaphysique que les chocolats,
dis-toi bien que les religions toutes ensembles n’en apprennent
pas plus que la confiserie.
Mange, petite malpropre, mange !
Puissé-je manger des chocolats avec une égale authenticité !
Mais je pense, moi, et quand je retire le papier d’argent, qui d’ailleurs est d’étain,
je flanque tout par terre, comme j’y ai flanqué la vie.)
Du moins subsiste-t-il de l’amertume d’un destin irréalisé
la calligraphie rapide de ces vers,
portique délabré sur l’Impossible,
du moins, les yeux secs, me voué-je à moi-même du mépris,
noble, du moins, par le geste large avec lequel je jette dans le mouvant des choses,
sans note de blanchisseuse, le linge sale que je suis
et reste au logis sans chemise.


(Toi qui consoles, qui n’existes pas et par là même consoles,
ou déesse grecque, conçue comme une statue douée du souffle,
ou patricienne romaine, noble et néfaste infiniment,
ou princesse de troubadours, très- gente et de couleurs ornée,
ou marquise du dix-huitième, lointaine et fort décolletée,
ou cocotte célèbre du temps de nos pères,
ou je ne sais quoi de moderne – non, je ne vois pas très bien quoi -
que tout cela, quoi que ce soit, et que tu sois, m’inspire s’il se peut !
Mon coeur est un seau qu’on a vidé.
Tels ceux qui invoquent les esprits je m’invoque
moi-même sans rien trouver.
Je viens à la fenêtre et vois la rue avec une absolue netteté.
Je vois les magasins et les trottoirs, et les voitures qui passent.
Je vois les êtres vivants et vêtus qui se croisent,
je vois les chiens qui existent eux aussi,
et tout cela me pèse comme une sentence de déportation,
et tout cela est étranger, comme toute chose. )


J’ai vécu, aimé – que dis-je ? j’ai eu la foi,
et aujourd’hui il n’est de mendiant que je n’envie pour le seul fait qu’il n’est pas moi.
En chacun je regarde la guenille, les plaies et le mensonge
et je pense : « peut-être n’as-tu jamais vécu ni étudié, ni aimé, ni eu la foi »
(parce qu’il est possible d’agencer la réalité de tout cela sans en rien exécuter) ;
« peut-être as-tu à peine existé, comme un lézard auquel on a coupé la queue,
et la queue séparée du lézard frétille encore frénétiquement ».


J’ai fait de moi ce que je n’aurais su faire,
et ce que de moi je pouvais faire je ne l’ai pas fait.
Le domino que j’ai mis n’était pas le bon.
On me connut vite pour qui je n’étais pas, et je n’ai pas démenti et j’ai perdu la face.
Quand j’ai voulu ôter le masque
je l’avais collé au visage.
Quand je l’ai ôté et me suis vu dans le miroir,
J’avais déjà vieilli.
J’étais ivre, je ne savais plus remettre le masque que je n’avais pas ôté.
Je jetai le masque et dormis au vestiaire
comme un chien toléré par la direction
parce qu’il est inoffensif -
et je vais écrire cette histoire afin de prouver que je suis sublime.


Essence musicale de mes vers inutiles,
qui me donnera de te trouver comme chose par moi créée,
sans rester éternellement face au Bureau de Tabac d’en face,
foulant aux pieds la conscience d’exister,
comme un tapis où s’empêtre un ivrogne,
comme un paillasson que les romanichels ont volé et qui ne valait pas deux sous.


Mais le patron du Bureau de Tabac est arrivé à la porte, et à la porte il s’est arrêté.
Je le regarde avec le malaise d’un demi-torticolis
et avec le malaise d’une âme brumeuse à demi.
Il mourra, et je mourrai.
Il laissera son enseigne, et moi des vers.
À un moment donné mourra aussi l’enseigne, et
mourront aussi les vers de leur côté.
Après un certain temps mourra la rue où était l’enseigne,
ainsi que la langue dans laquelle les vers furent écrits.
Puis mourra la planète tournante où tout cela s’est produit.
En d’autres satellites d’autres systèmes cosmiques, quelque chose
de semblable à des humains
continuera à faire des genres de vers et à vivre derrière des manières d’enseignes,
toujours une chose en face d’une autre,
toujours une chose aussi inutile qu’une autre,
toujours une chose aussi stupide que le réel,
toujours le mystère au fond aussi certain que le sommeil du mystère de la surface,
toujours cela ou autre chose, ou bien ni une chose ni l’autre.


Mais un homme est entré au Bureau de Tabac (pour acheter du tabac ?)
et la réalité plausible s’abat sur moi soudainement.
Je me soulève à demi, énergique, convaincu, humain,
et je vais méditer d’écrire ces vers où je dis le contraire.
J’allume une cigarette en méditant de les écrire
et je savoure dans la cigarette une libération de toutes les pensées.
Je suis la fumée comme un itinéraire autonome, et je goûte, en un moment sensible et compétent,
la libération en moi de tout le spéculatif
et la conscience de ce que la métaphysique est l’effet d’un malaise passager.


Ensuite je me renverse sur ma chaise
et je continue à fumer
Tant que le destin me l’accordera je continuerai à fumer.


(Si j’épousais la fille de ma blanchisseuse,
peut-être que je serais heureux.)
Là-dessus je me lève. Je vais à la fenêtre.

L’homme est sorti du bureau de tabac (n’a-t-il pas mis la
monnaie dans la poche de son pantalon?)
Ah, je le connais: c’est Estève, Estève sans métaphysique.
(Le patron du bureau de tabac est arrivé sur le seuil.)
Comme mû par un instinct sublime, Estève s’est retourné et il m’a vu.
Il m’a salué de la main, je lui ai crié: « Salut Estève ! », et l’univers
s’est reconstruit pour moi sans idéal ni espérance, et le
patron du Bureau de Tabac a souri.


FERNANDO PESSOA
(Portugal-1888)
De "Poésies d'Álvaro de Campos"


                                                    "Ventanas del destino"
                                                      Amelia Diez Cuesta



vendredi 27 juillet 2012

FERNANDO PESSOA: TABAQUERÍA



No soy nada.
Nunca seré nada.
No puedo querer ser nada.
Aparte de esto, tengo en mí todos los sueños del mundo.

Ventanas de mi cuarto,
de mi cuarto de uno de los millones de gente que nadie
    sabe quién es
(y si supiesen quién es, ¿qué sabrían?),
dais al misterio de una calle constantemente cruzada
    por la gente,
a una calle inaccesible a todos los pensamientos,
real, imposiblemente real, evidente, desconocidamente
    evidente,
con el misterio de las cosas por lo bajo de las piedras y
    los seres,
con la muerte poniendo humedad en las paredes y
    cabellos blancos en los hombres,
con el Destino conduciendo el carro de todo por la
    carretera de nada.

Hoy estoy vencido, como si supiera la verdad.
Hoy estoy lúcido, como si estuviese a punto de morirme
y no tuviese otra fraternidad con las cosas
que una despedida, volviéndose esta casa y este lado de
    la calle
la fila de vagones de un tren, y una partida pintada
desde dentro de mi cabeza,
y una sacudida de mis nervios y un crujir de huesos a
    la ida.

Hoy me siento perplejo, como quien ha pensado y
    opinado y olvidado.
Hoy estoy dividido entre la lealtad que le debo
a la tabaquería del otro lado de la calle, como cosa real
    por fuera,
y a la sensación de que todo es sueño, como cosa real
    por dentro.

He fracasado en todo.
Como no me hice ningún propósito, quizá todo no
    fuese nada.
El aprendizaje que me impartieron,
me apeé por la ventana de las traseras de la casa.
Me fui al campo con grandes proyectos.
Pero sólo encontré allí hierbas y árboles,
y cuando había gente era igual que la otra.
Me aparto de la ventana, me siento en una silla.
    ¿En qué voy a pensar?
¿Qué sé yo del que seré, yo que no sé lo que soy?
¿Ser lo que pienso? Pero ¡pienso ser tantas cosas!
¡Y hay tantos que piensan ser lo mismo que no puede
    haber tantos!
¿Un genio? En este momento
cien mil cerebros se juzgan en sueños genios como yo,
y la historia no distinguirá, ¿quién sabe?, ni a uno,
ni habrá sino estiércol de tantas conquistas futuras.
No, no creo en mí.
¡En todos los manicomios hay locos perdidos con tantas
    convicciones!
Yo, que no tengo ninguna convicción, ¿soy más
    convincente o menos convincente?

No, ni en mí...
¿En cuántas buhardillas y no buhardillas del mundo
no hay en estos momentos genios-para-sí-mismos
    soñando?
¿Cuántas aspiraciones altas y nobles y lúcidas
-sí, verdaderamente altas y nobles y lúcidas-,
y quién sabe si realizables, no verán nunca la luz del sol
    verdadero ni encontrarán quien les preste oídos?
El mundo es para quien nace para conquistarlo, aunque
    tenga razón.
He soñado más que lo que hizo Napoleón.
He estrechado contra el pecho hipotético más
    humanidades que Cristo,
he pensado en secreto filosofías que ningún Kant
    ha escrito.
Pero soy, y quizá lo sea siempre, el de la buhardilla,
aunque no viva en ella;
seré siempre el que no ha nacido para eso;
seré siempre el que tenía condiciones;
seré siempre el que esperó que le abriesen la puerta al
    pie de una pared sin puerta
y cantó la canción del Infinito en un gallinero,
y oyó la voz de Dios en un pozo tapado.
¿Creer en mí? No, ni en nada.
Derrámame la naturaleza sobre mi cabeza ardiente
su sol, su lluvia, el viento que tropieza en mi cabello,
y lo demás que venga si viene, o tiene que venir, o
    que no venga.
Esclavos cardíacos de las estrellas,
conquistamos el mundo entero antes de levantarnos
    de la cama;
pero nos despertamos y es opaco,
nos levantamos y es ajeno,
salimos de casa y es la tierra entera,
y el sistema solar y la Vía Láctea y lo Indefinido.

(¡Come chocolatinas, pequeña,
come chocolatinas!
Mira que no hay más metafísica en el mundo que las
    chocolatinas, mira que todas las religiones no
    enseñan más que la confitería.
¡Come, pequeña sucia, come!
¡Ojalá comiese yo chocolatinas con la misma verdad
    con que comes!
Pero yo pienso, y al quitarles la platilla, que es de papel
    de estaño,
lo tiro todo al suelo, lo mismo que he tirado la vida.)

Pero por lo menos queda de la amargura de lo que
    nunca seré
la caligrafía rápida de estos versos,
pórtico partido hacia lo Imposible.
Pero por lo menos me consagro a mí mismo un
    desprecio sin lágrimas,
noble, al menos, en el gesto amplio con que tiro
la ropa sucia que soy, sin un papel, para el transcurrir
    de las cosas,
y me quedo en casa sin camisa.
(Tú, que consuelas, que no existes y por eso consuelas,
o diosa griega, concebida como una estatua que
    estuviese viva,
o patricia romana, imposiblemente noble y nefasta,
o princesa de trovadores, gentilísima y disimulada,
o marquesa del siglo dieciocho, descotada y lejana,
o meretriz célebre de los tiempos de nuestros padres,
o no sé qué moderno -no me imagino bien qué-,
todo esto, sea lo que sea, lo que seas, ¡si puede inspirar,
    que inspire!
Mi corazón es un cubo vaciado.
Como invocan espíritus los que invocan espíritus, me
    invoco
a mí mismo y no encuentro nada.
Me acerco a la ventana y veo la calle con absoluta claridad,
veo las tiendas, veo las aceras, veo los coches que pasan,
veo a los entes vivos vestidos que se cruzan,
veo a los perros que también existen,
y todo esto me pesa como una condena al destierro,
y todo esto es extranjero, como todo.)

He vivido, estudiado, amado, y hasta creído,
y hoy no hay un mendigo al que no envidie sólo por no
    ser yo.
Miro los andrajos de cada uno y las llagas y la mentira,
y pienso: puede que nunca hayas vivido, ni estudiado, ni
    amado ni creído
(porque es posible crear la realidad de todo eso sin
    hacer nada de eso);
puede que hayas existido tan sólo, como un lagarto al
    que cortan el rabo
y que es un rabo, más acá del lagarto, removidamente.

He hecho de mí lo que no sabía,
y lo que podía hacer de mí no lo he hecho.
El dominó que me puse estaba equivocado.
Me conocieron enseguida como quien no era y no lo
    desmentí, y me perdí.
Cuando quise quitarme el antifaz,
lo tenía pegado a la cara.
Cuando me lo quité y me miré en el espejo,
ya había envejecido.
Estaba borracho, no sabía llevar el dominó que no me
    había quitado.
Tiré el antifaz y me dormí en el vestuario
como un perro tolerado por al gerencia
por ser inofensivo
y voy a escribir esta historia para demostrar que soy
    sublime.

Esencia musical de mis versos inútiles,
ojalá pudiera encontrarme como algo que hubiese hecho,
y no me quedase siempre enfrente de la tabaquería de
    enfrente,
pisoteando la conciencia de estar existiendo
como una alfombra en la que tropieza un borracho
o una estera que robaron los gitanos y no valía nada.

Pero el propietario de la tabaquería ha asomado por la
   puerta y se ha quedado a la puerta.
Le miro con incomodidad en la cabeza apenas vuelta,
y con la incomodidad del alma que está comprendiendo
    mal.
Morirá él y moriré yo.
Él dejará la muestra y yo dejaré versos.
en determinado momento morirá también la muestra, y
    los versos también.
Después de ese momento, morirá la calle donde estuvo
    la muestra,
y la lengua en que fueron escritos los versos,
morirá después el planeta girador en que sucedió todo
    esto.
En otros satélites de otros sistemas cualesquiera algo así
    como gente
continuará haciendo cosas semejantes a versos y
    viviendo debajo de cosas semejantes a muestras,
siempre una cosa enfrente de la otra,
siempre una cosa tan inútil como la otra,
siempre lo imposible tan estúpido como lo real,
siempre el misterio del fondo tan verdadero como el
    sueño del misterio de la superficie,
siempre esto o siempre otra cosa o ni una cosa ni la otra.

Pero un hombre ha entrado en la tabaquería (¿a
    comprar tabaco?),
y la realidad plausible cae de repente encima de mí.
Me incorporo a medias con energía, convencido,
    humano,
y voy a tratar de escribir estos versos en los que digo
    lo contrario.
enciendo un cigarrillo al pensar en escribirlos
y saboreo en el cigarrillo la liberación de todos los
    pensamientos.
Sigo al humo como a una ruta propia,
y disfruto, en un momento sensitivo y competente,
la liberación de todas las especulaciones
y la conciencia de que la metafísica es una consecuencia
    de encontrarse indispuesto.

Después me echo para atrás en la silla
y continúo fumando.
Mientras me lo conceda el destino seguiré fumando.
(Si me casase con la hija de mi lavandera
a lo mejor sería feliz.)
Visto lo cual, me levanto de la silla. Me voy a la ventana.

El hombre ha salido de la tabaquería (¿metiéndose el
   cambio en el bolsillo de los pantalones?).
Ah, le conozco: es el Esteves sin metafísica.
(el propietario de la tabaquería ha llegado a la puerta.)
Como por una inspiración divina, Esteves se ha vuelto y
    me ha visto.
Me ha dicho adiós con la mano, le he gritado  ¡Adiós,
    Esteves
!, y el Universo
se me reconstruye sin ideales ni esperanza, y el propietario
    de la tabaquería se ha sonreído.
FERNANDO PESSOA
(Portugal-1888)
De "Poesías de Álvaro de Campos"





                                            "El cuerpo de la fertilidad"
                                               Miguel Oscar Menassa