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samedi 17 novembre 2012

J'AI CHERCHÉ

                                                    À mon fils Pablo

J’ai cherché, obstinément,
un pas vers l’avant
et je n’ai rien pu trouver.
J’ai essayé, habilement,
de tomber des hauteurs
et je n’obtenais rien.
J’ai voyagé, follement,
par des rues impossibles,
sans trouver le ciel.
J’ai laissé, posément,
tout ce que j’aime
et tout ce que j’aime
est en moi.

Toujours au même endroit,
lointain et paisible,
regardant les étoiles,
toujours contre moi-même,
paralysé de terreur,
sans trouver le désir.
Sans personne qui arrache
de mes yeux, sans lumière,
des bandeaux obscurs.
Toujours caché
dans mon propre cœur,
sans issues à peine,
sans amour.

Je laisse des traces sur mes pas
et je me déclare en liberté.
Je ne veux plus tomber,
je ne cherche plus de cieux impossibles,
ni de lumières fascinées,
ni de pas en avant qui,
simplement,
soulagent ma douleur ou ma tristesse.

En pleine liberté,
éloigné d’humaines velléités.
Laissant,
comme s’ils étaient des symptômes éternels,
que mes grands amours,
fassent avec moi cette sieste de l’âme,
vivent, avec moi, cette douleur.


                    de Pleurs de l'Exil
 


              

dimanche 4 novembre 2012

"Leer la situación, la realidad humana" - Seminario SIGMUND FREUD 2012/2013 por Amelia Díez Cuesta

"—¿Puede explicar la relación entre sobredeterminación y dominancia?

Decimos que la instancia económica sobredetermina la estructura social que está integrada por las instancias jurídico-política, filosófica, religiosa y la misma instancia sobredeterminante, la economía.
Que la instancia económica sobredetermine la estructura social quiere decir que en cualquier sistema de producción que estudiemos, sea esclavista, feudal, capitalista —las formaciones sociales padecidas por nuestra civilización—, podrán aparecer dominando el proceso social cualquiera de las instancias pero en todos los casos la sobredeterminación es económica. En el capitalismo la instancia económica es a la vez sobredeterminante y dominante.
Veamos la modificación padecida por la instancia religiosa, que dominaba los procesos sociales durante el feudalismo y que hubo de resignar tal dominio, a la instancia sobredeterminante con la producción de la revolución burguesa.
Bajo el feudalismo la idea de Dios era trascendente. Dios era el verbo, siempre igual, y en su quietud todo lo que era palabra participaba de su naturaleza en la que encontraba fundamento y sentido.
Las leyes del arte y la producción, en tanto revelación divina, no podían ser alteradas sino por los representantes del verbo divino, que no eran precisamente los artistas ni los que producían los bienes.
La instancia sobredeterminante era la económica, ya que sin producción material no hay vida en la que pueda residir ninguna humanidad. El campesino sembraba en una fecha del año y no en otra, porque si no, no crecía el trigo, ni la cebada, ni su propia vida, ni la de su señor. La organización productiva se produce en el quehacer productivo.
Esa organización no la inventó Dios, pero eso no le impidió apropiarse de ella, dictaminando como divinas esas leyes productivas por tener que ver con el verbo, que en todos los casos era Dios. Así, estas leyes padecieron las cualidades divinas donde el producto de la actividad productiva —la organización de los procesos de trabajo— se presentaba como un orden que, por provenir de Dios, participaba de sus cualidades:
ser inmutables. Esta vocación no impidió que la instancia económica modificara su organización. Este cambio se generó en un proceso donde las relaciones de producción —la manera de intercambiar entre los hombres—, dominadas por la religión, entran en contradicción con los cambios que acontecían en la organización productiva. El producto de esta contradicción es un nuevo sistema de producción social: el capitalismo.
¿Qué ocurrió con el Dios trascendente?
Mutó en Dios inmanente. El Dios protestante, el Dios hegeliano que se transforma en la transformación de la cosa, inmane en cada gestalt. Es lícito, en este nuevo orden divino, la investigación de la cosa porque en esta actividad se recorre el camino de la búsqueda del Señor yacente en ella. Las ciencias experimentales —pivot ideativo en que centra su posibilidad el nuevo sistema social, ya que de ellas dependen las transformaciones
de los instrumentos de producción—, antes heréticas, del beneplácito del nuevo Dios. Y no se trató de ninguna bondad, sino del resultado de la transformación social que relegó de su posición dominante a la religión, para pasar a una nueva dominación, la de la instancia sobredeterminante: la instancia económica. Los caracteres del ser Dios supeditan sus cualidades a los requisitos de la nueva dominación.
Donde antes las leyes de la producción eran inmutables por padecer el rigor de esa divinidad, hoy el orden divino inmane en la cosa por imperativo de la investigación de la nueva dominancia la economía consolidada en todo proceso de producción."

Freud y Lacan - hablados 1 -

De Miguel Oscar Menassa

Seminario SIGMUND FREUD 2012/2013 por Amelia Díez Cuesta

samedi 1 septembre 2012

Rainer Maria Rilke - Le Livre de la Pauvreté et de la Mort



          


Le Livre de la Pauvreté et de la Mort



Je suis peut-être enfoui au sein des montagnes
solitaire comme une veine de métal pur;
je suis perdu dans un abîme illimité,
dans une nuit profonde et sans horizon.
Tout vient à moi, m'enserre et se fait pierre.


Je ne sais pas encore souffrir comme il faudrait,
et cette grande nuit me fait peur;
mais si c'est là ta nuit, qu'elle me soit pesante,
qu'elle m'écrase,
que toute ta main soit sur moi,
et que je me perde en toi dans un cri.


Toi, mont, seul immuable dans le chaos des montagnes,
pente sans refuge, sommet sans nom,
neige éternelle qui fait pâlir les étoiles,
toi qui portes à tes flancs de grandes vallées
où l'âme de la terre s'exhale en odeurs de fleurs.


Me suis-je enfin perdu en toi,
uni au basalte comme un métal inconnu?
Plein de vénération, je me confonds à ta roche,
et partout je me heurte à ta dureté.


Ou bien est-ce l'angoisse qui m'étreint,
l'angoisse profonde des trop grandes villes,
où tu m'as enfoncé jusqu'au cou?


Ah, si seulement un homme pouvait dire
toute leur insanité et toute leur horreur,
aussitôt tu te lèverais, première tempête de monde,
et les chasserais devant toi comme de la poussière_


Mais si tu veux que ce soit moi qui parle,
je ne le pourrai pas, car je ne comprends rien;
et ma bouche, comme une blessure,
ne demande qu'à se fermer,
et mes mains sont collées à mes côtés comme des chiens
qui restent sourds à tout appel.


Et pourtant, une fois, tu me feras parler.


Que je sois le veilleur de tous tes horizons
Permets à mon regard plus hardi et plus vaste
d'embrasser soudain l'étendue des mers.
Fais que je suive la marche des fleuves
afin qu'au delà des rumeurs de leurs rives
j'entende monter la voix silencieuse de la nuit.


Conduis-moi dans tes plaines battues de tous les vents
où d'âpres monastères ensevelissent entre leurs murs,
comme dans un linceul, des vies qui n'ont pas vécu


Car les grandes villes, Seigneur, sont maudites;
la panique des incendies couve dans leur sein
et elles n'ont pas de pardon à attendre
et leur temps leur est compté.


Là, des hommes insatisfaits peinent à vivre
et meurent sans savoir pourquoi ils ont souffert;
et aucun d'eux n'a vu la pauvre grimace
qui s'est substituée au fond des nuits sans nom
au sourire heureux d'un peuple plein de foi.


Ils vont au hasard, avilis par l'effort
de servir sans ardeur des choses dénuées de sens,
et leurs vêtements s'usent peu à peu,
et leurs belles mains vieillissent trop tôt.


La foule les bouscule et passe indifférente,
bien qu'ils soient hésitants et faibles,
seuls les chiens craintifs qui n'ont pas de gîte
les suivent un moment en silence.


Ils sont livrés à une multitude de bourreaux
et le coup de chaque heure leur fait mal;
ils rôdent, solitaires, autour des hôpitaux
en attendant leur admission avec angoisse.
La mort est là. Non celle dont la voix
les a miraculeusement touchés dans leurs enfances,
mais la petite mort comme on la comprend là;
tandis que leur propre fin pend en eux comme un fruit
aigre, vert, et qui ne mûrit pas.


O mon Dieu, donne à chacun sa propre mort,
donne à chacun la mort née de sa propre vie
où il connut l'amour et la misère.
Car nous ne sommes que l'écorce, que la feuille,
mais le fruit qui est au centre de tout
c'est la grande mort que chacun porte en soi.


C'est pour elle que les jeunes filles s'épanouissent,
et que les enfants rêvent d'être des hommes
et que les adolescents font des femmes leurs confidentes
d'une angoisse que personne d'autres n'accueille.
C'est pour elle que toutes les choses subsistent éternellement
même si le temps a effacé le souvenir,
et quiconque dans sa vie s'efforce de créer,
enclôt ce fruit d'un univers
qui tour à tour le gèle et le réchauffe.


Dans ce fruit peut entrer toute la chaleur
des coeurs et l'éclat blanc des pensées;
mais des anges sont venus comme une nuée d'oiseaux
et tous les fruits étaient encore verts.
Seigneur, nous sommes plus pauvres que les pauvres bêtes
qui, même aveugles, achèvent leur propre mort.


Oh, donne nous la force et la science
de lier notre vie en espalier
et le printemps autour d'elle commencera de bonne heure.


Rainer Maria Rilke (Praga, 1875)


                                                 


                                         



                                          

mercredi 29 août 2012

NAZIM HIKMET:  DE VOS MAINS ET DU MENSONGE

Vos mains graves comme les pierres
tristes comme les airs chantés dans la prison
lourdes, massives commes les bêtes de somme,
vos mains qui ressemblent aux visages furieux des gosses affamés!

Vos mains légères, habiles comme les abeilles,
chargées comme les mamelles de lait,
intrépides comme la nature,
vos mains qui gardent sous leur peau dure l’affection et l’amitié.

Notre planète ne tient pas entre les cornes d’un bœuf,
elle tient entre vos mains...
Ah les hommes, les nôtres,
On vous nourrit de mensonges
alors qu’affamés
il vous faut du pain, de la viande,
Vous quittez ce monde aux branches lourdes de fruits
sans avoir mangé une seule fois sur une nappe propre.

Ah les hommes, les nôtres,
           surtout ceux d’Asie, d’Afrique,
           du moyen et du proche Orient,
           des Iles du Pacifique
           et ceux de mon pays,
c’est-à-dire plus de soixante-dix pour cent des
         hommes,
vous êtes endormis, vous êtes vieux....
Vous êtes curieux, vous êtes jeunes comme vos
        mains...

Les hommes, ah les nôtres,
mon frère d’Europe ou d’Amérique,
tu es alerte, tu es audacieux,
et tu es étourdi comme tes mains,
on te ment, on te fait marcher...

Les hommes, ah les nôtres,
si elle mentent les antennes,
si elle mentent les rotatives,
s’ils mentent les livres,
s’ils mentent, l’affiche, l’avis sur la colonne,
si elle mentent sur l’écran
                      les jambes nues des filles,
si la prière ment,
si elle ment la berceuse,
s’il ment le rêve
s’il ment celui qui joue du violon dans le cabaret,
s’il ment, le clair de la lune
                     dans les nuits désespérées,
si elle ment la parole,
si elle ment la couleur,
si elle ment la voix,
s’il ment, celui qui exploite vos mains,
si tout le monde et toutes les choses mentent
                       à l’exception de vos mains,
c’est pour qu’elles soient obéissantes, comme
        l’argile
                        aveugles comme les ténèbres
                         idiotes comme le chien de berger
et pour que ne se révoltent pas vos mains
et pour que ne finisse pas cette injustice,
                     le rêve du trafiquant
                     dans ce monde mortel
                      dans ce monde où il ferait bon de
                              vivre.
 
NAZIM HIKMET 
 
 
Traduit par Hasan Gureh (Sabahattin Eyuboğlu)

Anthologie poétique, EFR, Paris, 1964.
 
                                                        

mardi 28 août 2012

VICENTE ALEIXANDRE - COMO LA MAR, LOS BESOS

                               

Como La Mar, Los Besos


    No importan los emblemas
ni las vanas palabras que son un soplo sólo.
Importa el eco de lo que oí y escucho.
Tu voz, que muerta vive, como yo que al pasar
aquí aún te hablo.


    Eras más consistente,
más duradera, no porque te besase,
ni porque en ti asiera firme a la existencia.
Sino porque como la mar
después que arena invade temerosa se ahonda.
En verdes o en espumas la mar, se aleja.
Como ella fue y volvió tú nunca vuelves.


    Quizá porque, rodada
sobre playa sin fin, no pude hallarte.
La huella de tu espuma,
cuando el agua se va, queda en los bordes.


    Sólo bordes encuentro. Sólo el filo de voz que
        en mí quedara.
Como un alga tus besos.
Mágicos en la luz, pues muertos tornan.




Vicente Aleixandre


                                            Bairro alto de Lisboa
                                   

LAS PALABRAS DEL POETA - VICENTE ALEIXANDRE


LAS PALABRAS DEL POETA


    Después de las palabras muertas,
de las aún pronunciadas o dichas,
¿qué esperas? Unas hojas volantes,
más papeles dispersos. ¿Quién sabe? Unas palabras
deshechas, como el eco o la luz que muere allá en gran noche.


   Todo es noche profunda.
Morir es olvidar unas palabras dichas
en momentos de delicia o de ira, de éxtasis o abandono
cuando, despierta el alma, por los ojos se asoma
más como luz que cual sonido experto.
Experto, pues que dispuesto fuese
en virtud de su son sobre página abierta,
apoyado en palabras, o ellas con el sonido calan
el aire y se reposan. No con virtud suprema,
pero sí con un orden, infalible, si quieren.
Pues obedientes, ellas, las palabras, se atienen
a su virtud y dóciles
se posan soberanas, bajo la luz se asoman
por una lengua humana que a expresarlas se aplica.


    Y la mano reduce
su movimiento a hallarlas,
no: a descubrirlas, útil, mientras brillan, revelan,
cuando no, en desengaño, se evaporan.


    Así, quedadas a las veces, duermen,
residuo al fin de un fuego intacto
que si murió no olvida,
pero débil su memoria dejó, y allí se hallase.


    Todo es noche profunda.
Morir es olvidar palabras, resortes, vidrio, nubes,
para atenerse a un orden
invisible de día, pero cierto en la noche, en gran abismo.
Allí la tierra, estricta,
no permite otro amor que el centro entero.
Ni otro beso que serle.
Ni otro amor que el amor que, ahogado, irradia.


    En las noches profundas
correspondencia hallasen
las palabras dejadas o dormidas.
En papeles volantes, ¿quién las sabe u olvida?
Alguna vez, acaso, resonarán, ¿quién sabe?
en unos pocos corazones fraternos.

VICENTE ALEIXANDRE
(España-1898)





                                            


lundi 27 août 2012

ARTHUR RIMBAUD : "GÉNIE"

Génie 
 
Il est l'affection et le présent, puisqu'il a fait la maison ouverte à l'hiver écumeux et à la rumeur de l'été, - lui qui a purifié les boissons et les aliments - lui qui est le charme des lieux fuyants et le délice surhumain des stations. Il est l'affection et l'avenir, la force et l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d'extase.
Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l'éternité : machine aimée des qualités fatales. Nous avons tous eu l'épouvante de sa concession et de la nôtre : ô jouissance de notre santé, élan de nos facultés, affection égoïste et passion pour lui, lui qui nous aime pour sa vie infinie...
Et nous nous le rappelons, et il voyage... Et si l'Adoration s'en va, sonne, sa promesse sonne : "Arrière ces superstitions, ces anciens corps, ces ménages et ces âges. C'est cette époque-ci qui a sombré !"
Il ne s'en ira pas, il ne redescendra pas d'un ciel, il n'accomplira pas la rédemption des colères de femmes et des gaîtés des hommes et de tout ce péché : car c'est fait, lui étant, et étant aimé.
O ses souffles, ses têtes, ses courses ; la terrible célérité de la perfection des formes et de l'action.
O fécondité de l'esprit et immensité de l'univers.
Son corps ! Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle !
Sa vue, sa vue ! tous les agenouillages anciens et les peines relevés à sa suite.
Son jour ! l'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense.
Son pas ! les migrations plus énormes que les anciennes invasions.
O lui et nous ! l'orgueil plus bienveillant que les charités perdues.
O monde ! et le chant clair des malheurs nouveaux !
Il nous a connus tous et nous a tous aimés. Sachons, cette nuit d'hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour.



ARTHUR RIMBAUD







ARTHUR RIMBAUD: "GENIO"


 


 
Genio



Es el afecto y el presente pues ha hecho la casa abierta al invierno espumoso y al rumor del estío, él, que ha purificado las bebidas y los alimentos, él, que es el encanto de los lugares huidizos y la delicia sobrehumana de las estaciones. Es el afecto y el porvenir, la fuerza y el amor que nosotros, de pie entre las rabias y los hastíos, vemos pasar por el cielo de tempestad y por las banderas de éxtasis.
Es el amor, medida perfecta y reinventada, razón maravillosa e imprevista, y la eternidad: máquina amada por las cualidades fatales. Todos nosotros hemos tenido el espanto de su concesión y de la nuestra.
¡Oh gozo de nuestra salud, ímpetu de nuestras facultades, afecto egoísta y pasión por él, él que nos ama en su vida infinita...¡
Y nosotros lo recordamos y él viaja... y si la Adoración se va, suena, su promesa suena: “Atrás esas supersticiones, esos antiguos cuerpos, esas domesticidades y esas edades. ¡Es esta época que ha zozobrado!”
No se irá, no bajará otra vez de un cielo, no cumplirá con la redención de las cóleras de mujeres y de las alegrías de los hombres y de todo este pecado: eso ya está hecho, siendo él, y siendo amado.
¡Oh sus soplos, sus cabezas, sus carreras: la terrible celeridad de la perfección de las formas y de la acción!
¡Oh fecundidad del espíritu e inmensidad del universo!
¡Su cuerpo! ¡El desprendimiento soñado, el rompimiento de la gracia cruzada por violencia nueva!
¡Su vista, su vista! todos los arrodillamientos antiguos y las penas levantados tras su paso.
¡Su día! la abolición de todos los sufrimientos sonoros y móviles en la música más intensa.
¡Su paso! las migraciones más enormes que las antiguas invasiones.
¡Oh él y nosotros! el orgullo más benévolo que las caridades perdidas.
¡Oh mundo! ¡y el canto claro de las desdichas nuevas!
Nos ha conocido a todos y a todos nos ha amado. Sepamos, en esta noche de invierno, de cabo a cabo, del polo tumultuoso al castillo, de la multitud a la playa, de mirada a mirada, fuerzas y sentimientos cansados, llamarlo y verlo, y despedirlo, y bajo las mareas y en lo alto de los desiertos de nieve, seguir sus miras, sus soplos, su cuerpo, su día.

ARTHUR RIMBAUD 

                                              

TOI TU ES EUROPE MOI, JE SUIS EUROPE

  • Eh, toi aussi tu es Europe,
    Alors dis-moi: Qui te sépare
    Qui cherche à te confondre dans ce faux désir d’équilibre,
    Qu’est-ce qui veut te réduire à être un cœur dévoré
    par des projets gelés qui brûlent tes bras,
    qui ne s’ouvriront plus pour embrasser la mer
    mais qui se fermeront avec force sur tes côtes.

    Où demeurent Europe, ton cheval et ta flèche,
    où le troupeau qui cherche les étables,
    et les mers sillonnées à la recherche d’autres terres
    qui étaient le défi à d’étranges illusions.
    Fièvre et sueur ont été les mains qui ont hissé les voiliers
    qui ont apporté l’or de l’ouest et ont laissé dans les cieux, des signaux déserts
    pour que les ignorants cherchent
    dans le verre brisé de milles étoiles
    les écritures sacrées de leurs rêves.

    Où demeures-tu au milieu de cette Europe?
    Si le progrès a creusé des puits si profonds
    qu’ils ont brisé les racines qui t’attachaient à la terre
    et en eux, sont partis tous les paysages
    comme des fleurs de terreur pulvérisées
    sur des draps d’amertume
    à cause de cette étrange discipline
    qu’ils veulent t’imposer pour t’enchaîner.

    Un système trop cruel et affolé
    qui n’arrive pas à se rendre compte du tremblement de l’empire
    où on écoute, non pas des cris de bataille,
    mais le mugissement triste de la vache conduite à l’abattoir
    où on cotisera son prix par tête
    quand celle-ci tournera perdue pour toujours.

    Eh, je suis Europe
    mais j’ai perdu le regard de la sagesse.
    J’ai été livrée à un rythme frénétique qui a déchaîné un enfer
    d’ardeur qui maintient éveillées les blessures
    et avec douleur j’ai avancé dans les rues comme un cirque
    qui a perdu son profil et mutilé il cherche qu’une pirouette lui rende ce ciel
    qui de nouveau fasse exister le monde.

    Des hommes enchaînés je vois et sourds en même temps
    cachant le manque de sortie
    parce qu’ils ont rogné cette indispensable dose de folie
    qui vient toujours quand il s’agit d’installer une nouvelle géométrie.

    Il n’y a pas de casernes mais la mort se penche des yeux
    et les corps s’engourdissent parce qu’ils ne veulent pas se réveiller
    avec un nœud dans la gorge un matin de plus
    où des doigts invisibles de fer
    pointent les rêves de la foule
    faite de feu et de nuage
    qui crie pour briser les prisons en plein midi.

    Obstinément les douze cloches appellent la table
    de notre pain de chaque jour et arrive la sentence du poète
    “crépuscule sans maison ou lever du jour sans vie”,
    Les semailles de guerre froide.

    “Les terres…, les terres d’Espagne
    Cavaliers du peuple…”
    Toi, tu es Europe?

    NORMA MENASSA




  •                                                - Giro sin pasos -                                                                                                     Amelia Díez Cuesta
                                      

samedi 28 juillet 2012

FERNANDO PESSOA : BUREAU DE TABAC



Je ne suis rien
Jamais je ne serai rien.
Je ne puis vouloir être rien.
Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde.


Fenêtres de ma chambre,
de ma chambre dans la fourmilière humaine unité ignorée
(et si l’on savait ce qu’elle est, que saurait-on de plus ?),
vous donnez sur le mystère d’une rue au va-et-vient continuel,
sur une rue inaccessible à toutes les pensées,
réelle, impossiblement réelle, précise, inconnaissablement précise,
avec le mystère des choses enfoui sous les pierres et les êtres,
avec la mort qui parsème les murs de moisissure et de cheveux blancs les humains,
avec le destin qui conduit la guimbarde de tout sur la route de rien.


Je suis aujourd’hui vaincu, comme si je connaissais la vérité;
lucide aujourd’hui, comme si j’étais à l’article de la mort,
n’ayant plus d’autre fraternité avec les choses
que celle d’un adieu, cette maison et ce côté de la rue
se muant en une file de wagons, avec un départ au sifflet venu du fond de ma tête,
un ébranlement de mes nerfs et un grincement de mes os qui démarrent.


Je suis aujourd’hui perplexe, comme qui a réfléchi, trouvé, puis oublié.
Je suis aujourd’hui partagé entre la loyauté que je dois
au Bureau de Tabac d’en face, en tant que chose extérieurement réelle
et la sensation que tout est songe, en tant que chose réelle vue du dedans.


J’ai tout raté.
Comme j’étais sans ambition, peut-être ce tout n’était-il rien.
Les bons principes qu’on m’a inculqués,
je les ai fuis par la fenêtre de la cour.
Je m’en fus aux champs avec de grands desseins,
mais là je n’ai trouvé qu’herbes et arbres,
et les gens, s’il y en avait, étaient pareils à tout le monde.
Je quitte la fenêtre, je m’assieds sur une chaise. À quoi penser ?


Que sais-je de ce que je serai, moi qui ne sais pas ce que je suis ?
Être ce que je pense ? Mais je crois être tant et tant !
Et il y en a tant qui se croient la même chose qu’il ne saurait y en avoir tant !
Un génie ? En ce moment
cent mille cerveaux se voient en songe génies comme moi-même
et l’histoire n’en retiendra, qui sait ?, même pas un ;
du fumier, voilà tout ce qui restera de tant de conquêtes futures.
Non, je ne crois pas en moi.
Dans tous les asiles il y a tant de fous possédés par tant de certitudes !
Moi, qui n’ai point de certitude , suis-je plus assuré, le suis-je moins ?
Non, même pas de ma personne…
En combien de mansardes et de non-mansardes du monde
n’y a-t-il à cette heure des génies-pour-soi-même rêvant ?
Combien d’aspirations hautes, lucides et nobles -
oui, authentiquement hautes, lucides et nobles -
et, qui sait peut-être réalisables…
qui ne verront jamais la lumière du soleil réel et qui
tomberont dans l’oreille des sourds ?
Le monde est à qui naît pour le conquérir,
et non pour qui rêve, fût-ce à bon droit, qu’il peut le conquérir.
J’ai rêvé plus que jamais Napoléon ne rêva.
Sur mon sein hypothétique j’ai pressé plus d’humanité que le Christ,
j’ai fait en secret des philosophies que nul Kant n’a rédigées,
mais je suis, peut-être à perpétuité, l’individu de la mansarde,
sans pour autant y avoir mon domicile :
je serai toujours celui qui n’était pas né pour ça ;
je serai toujours, sans plus, celui qui avait des dons ;
je serai toujours celui qui attendait qu’on lui ouvrît la porte
auprès d’un mur sans porte
et qui chanta la romance de l’Infini dans une basse-cour,
celui qui entendit la voix de Dieu dans un puits obstrué.
Croire en moi ? Pas plus qu’en rien…
Que la Nature déverse sur ma tête ardente
son soleil, sa pluie, le vent qui frôle mes cheveux ;
quant au reste, advienne que pourra, ou rien du tout…


Esclaves cardiaques des étoiles,
nous avons conquis l’univers avant de quitter nos draps,
mais nous nous éveillons et voilà qu’il est opaque,
nous nous éveillons et voici qu’il est étranger,
nous franchissons notre seuil et voici qu’il est la terre entière,
plus le système solaire et la Voie lactée et le Vague Illimité.


(Mange des chocolats, fillette ;
mange des chocolats !
Dis-toi bien qu’il n’est d’autre métaphysique que les chocolats,
dis-toi bien que les religions toutes ensembles n’en apprennent
pas plus que la confiserie.
Mange, petite malpropre, mange !
Puissé-je manger des chocolats avec une égale authenticité !
Mais je pense, moi, et quand je retire le papier d’argent, qui d’ailleurs est d’étain,
je flanque tout par terre, comme j’y ai flanqué la vie.)
Du moins subsiste-t-il de l’amertume d’un destin irréalisé
la calligraphie rapide de ces vers,
portique délabré sur l’Impossible,
du moins, les yeux secs, me voué-je à moi-même du mépris,
noble, du moins, par le geste large avec lequel je jette dans le mouvant des choses,
sans note de blanchisseuse, le linge sale que je suis
et reste au logis sans chemise.


(Toi qui consoles, qui n’existes pas et par là même consoles,
ou déesse grecque, conçue comme une statue douée du souffle,
ou patricienne romaine, noble et néfaste infiniment,
ou princesse de troubadours, très- gente et de couleurs ornée,
ou marquise du dix-huitième, lointaine et fort décolletée,
ou cocotte célèbre du temps de nos pères,
ou je ne sais quoi de moderne – non, je ne vois pas très bien quoi -
que tout cela, quoi que ce soit, et que tu sois, m’inspire s’il se peut !
Mon coeur est un seau qu’on a vidé.
Tels ceux qui invoquent les esprits je m’invoque
moi-même sans rien trouver.
Je viens à la fenêtre et vois la rue avec une absolue netteté.
Je vois les magasins et les trottoirs, et les voitures qui passent.
Je vois les êtres vivants et vêtus qui se croisent,
je vois les chiens qui existent eux aussi,
et tout cela me pèse comme une sentence de déportation,
et tout cela est étranger, comme toute chose. )


J’ai vécu, aimé – que dis-je ? j’ai eu la foi,
et aujourd’hui il n’est de mendiant que je n’envie pour le seul fait qu’il n’est pas moi.
En chacun je regarde la guenille, les plaies et le mensonge
et je pense : « peut-être n’as-tu jamais vécu ni étudié, ni aimé, ni eu la foi »
(parce qu’il est possible d’agencer la réalité de tout cela sans en rien exécuter) ;
« peut-être as-tu à peine existé, comme un lézard auquel on a coupé la queue,
et la queue séparée du lézard frétille encore frénétiquement ».


J’ai fait de moi ce que je n’aurais su faire,
et ce que de moi je pouvais faire je ne l’ai pas fait.
Le domino que j’ai mis n’était pas le bon.
On me connut vite pour qui je n’étais pas, et je n’ai pas démenti et j’ai perdu la face.
Quand j’ai voulu ôter le masque
je l’avais collé au visage.
Quand je l’ai ôté et me suis vu dans le miroir,
J’avais déjà vieilli.
J’étais ivre, je ne savais plus remettre le masque que je n’avais pas ôté.
Je jetai le masque et dormis au vestiaire
comme un chien toléré par la direction
parce qu’il est inoffensif -
et je vais écrire cette histoire afin de prouver que je suis sublime.


Essence musicale de mes vers inutiles,
qui me donnera de te trouver comme chose par moi créée,
sans rester éternellement face au Bureau de Tabac d’en face,
foulant aux pieds la conscience d’exister,
comme un tapis où s’empêtre un ivrogne,
comme un paillasson que les romanichels ont volé et qui ne valait pas deux sous.


Mais le patron du Bureau de Tabac est arrivé à la porte, et à la porte il s’est arrêté.
Je le regarde avec le malaise d’un demi-torticolis
et avec le malaise d’une âme brumeuse à demi.
Il mourra, et je mourrai.
Il laissera son enseigne, et moi des vers.
À un moment donné mourra aussi l’enseigne, et
mourront aussi les vers de leur côté.
Après un certain temps mourra la rue où était l’enseigne,
ainsi que la langue dans laquelle les vers furent écrits.
Puis mourra la planète tournante où tout cela s’est produit.
En d’autres satellites d’autres systèmes cosmiques, quelque chose
de semblable à des humains
continuera à faire des genres de vers et à vivre derrière des manières d’enseignes,
toujours une chose en face d’une autre,
toujours une chose aussi inutile qu’une autre,
toujours une chose aussi stupide que le réel,
toujours le mystère au fond aussi certain que le sommeil du mystère de la surface,
toujours cela ou autre chose, ou bien ni une chose ni l’autre.


Mais un homme est entré au Bureau de Tabac (pour acheter du tabac ?)
et la réalité plausible s’abat sur moi soudainement.
Je me soulève à demi, énergique, convaincu, humain,
et je vais méditer d’écrire ces vers où je dis le contraire.
J’allume une cigarette en méditant de les écrire
et je savoure dans la cigarette une libération de toutes les pensées.
Je suis la fumée comme un itinéraire autonome, et je goûte, en un moment sensible et compétent,
la libération en moi de tout le spéculatif
et la conscience de ce que la métaphysique est l’effet d’un malaise passager.


Ensuite je me renverse sur ma chaise
et je continue à fumer
Tant que le destin me l’accordera je continuerai à fumer.


(Si j’épousais la fille de ma blanchisseuse,
peut-être que je serais heureux.)
Là-dessus je me lève. Je vais à la fenêtre.

L’homme est sorti du bureau de tabac (n’a-t-il pas mis la
monnaie dans la poche de son pantalon?)
Ah, je le connais: c’est Estève, Estève sans métaphysique.
(Le patron du bureau de tabac est arrivé sur le seuil.)
Comme mû par un instinct sublime, Estève s’est retourné et il m’a vu.
Il m’a salué de la main, je lui ai crié: « Salut Estève ! », et l’univers
s’est reconstruit pour moi sans idéal ni espérance, et le
patron du Bureau de Tabac a souri.


FERNANDO PESSOA
(Portugal-1888)
De "Poésies d'Álvaro de Campos"


                                                    "Ventanas del destino"
                                                      Amelia Diez Cuesta



vendredi 27 juillet 2012

FERNANDO PESSOA: TABAQUERÍA



No soy nada.
Nunca seré nada.
No puedo querer ser nada.
Aparte de esto, tengo en mí todos los sueños del mundo.

Ventanas de mi cuarto,
de mi cuarto de uno de los millones de gente que nadie
    sabe quién es
(y si supiesen quién es, ¿qué sabrían?),
dais al misterio de una calle constantemente cruzada
    por la gente,
a una calle inaccesible a todos los pensamientos,
real, imposiblemente real, evidente, desconocidamente
    evidente,
con el misterio de las cosas por lo bajo de las piedras y
    los seres,
con la muerte poniendo humedad en las paredes y
    cabellos blancos en los hombres,
con el Destino conduciendo el carro de todo por la
    carretera de nada.

Hoy estoy vencido, como si supiera la verdad.
Hoy estoy lúcido, como si estuviese a punto de morirme
y no tuviese otra fraternidad con las cosas
que una despedida, volviéndose esta casa y este lado de
    la calle
la fila de vagones de un tren, y una partida pintada
desde dentro de mi cabeza,
y una sacudida de mis nervios y un crujir de huesos a
    la ida.

Hoy me siento perplejo, como quien ha pensado y
    opinado y olvidado.
Hoy estoy dividido entre la lealtad que le debo
a la tabaquería del otro lado de la calle, como cosa real
    por fuera,
y a la sensación de que todo es sueño, como cosa real
    por dentro.

He fracasado en todo.
Como no me hice ningún propósito, quizá todo no
    fuese nada.
El aprendizaje que me impartieron,
me apeé por la ventana de las traseras de la casa.
Me fui al campo con grandes proyectos.
Pero sólo encontré allí hierbas y árboles,
y cuando había gente era igual que la otra.
Me aparto de la ventana, me siento en una silla.
    ¿En qué voy a pensar?
¿Qué sé yo del que seré, yo que no sé lo que soy?
¿Ser lo que pienso? Pero ¡pienso ser tantas cosas!
¡Y hay tantos que piensan ser lo mismo que no puede
    haber tantos!
¿Un genio? En este momento
cien mil cerebros se juzgan en sueños genios como yo,
y la historia no distinguirá, ¿quién sabe?, ni a uno,
ni habrá sino estiércol de tantas conquistas futuras.
No, no creo en mí.
¡En todos los manicomios hay locos perdidos con tantas
    convicciones!
Yo, que no tengo ninguna convicción, ¿soy más
    convincente o menos convincente?

No, ni en mí...
¿En cuántas buhardillas y no buhardillas del mundo
no hay en estos momentos genios-para-sí-mismos
    soñando?
¿Cuántas aspiraciones altas y nobles y lúcidas
-sí, verdaderamente altas y nobles y lúcidas-,
y quién sabe si realizables, no verán nunca la luz del sol
    verdadero ni encontrarán quien les preste oídos?
El mundo es para quien nace para conquistarlo, aunque
    tenga razón.
He soñado más que lo que hizo Napoleón.
He estrechado contra el pecho hipotético más
    humanidades que Cristo,
he pensado en secreto filosofías que ningún Kant
    ha escrito.
Pero soy, y quizá lo sea siempre, el de la buhardilla,
aunque no viva en ella;
seré siempre el que no ha nacido para eso;
seré siempre el que tenía condiciones;
seré siempre el que esperó que le abriesen la puerta al
    pie de una pared sin puerta
y cantó la canción del Infinito en un gallinero,
y oyó la voz de Dios en un pozo tapado.
¿Creer en mí? No, ni en nada.
Derrámame la naturaleza sobre mi cabeza ardiente
su sol, su lluvia, el viento que tropieza en mi cabello,
y lo demás que venga si viene, o tiene que venir, o
    que no venga.
Esclavos cardíacos de las estrellas,
conquistamos el mundo entero antes de levantarnos
    de la cama;
pero nos despertamos y es opaco,
nos levantamos y es ajeno,
salimos de casa y es la tierra entera,
y el sistema solar y la Vía Láctea y lo Indefinido.

(¡Come chocolatinas, pequeña,
come chocolatinas!
Mira que no hay más metafísica en el mundo que las
    chocolatinas, mira que todas las religiones no
    enseñan más que la confitería.
¡Come, pequeña sucia, come!
¡Ojalá comiese yo chocolatinas con la misma verdad
    con que comes!
Pero yo pienso, y al quitarles la platilla, que es de papel
    de estaño,
lo tiro todo al suelo, lo mismo que he tirado la vida.)

Pero por lo menos queda de la amargura de lo que
    nunca seré
la caligrafía rápida de estos versos,
pórtico partido hacia lo Imposible.
Pero por lo menos me consagro a mí mismo un
    desprecio sin lágrimas,
noble, al menos, en el gesto amplio con que tiro
la ropa sucia que soy, sin un papel, para el transcurrir
    de las cosas,
y me quedo en casa sin camisa.
(Tú, que consuelas, que no existes y por eso consuelas,
o diosa griega, concebida como una estatua que
    estuviese viva,
o patricia romana, imposiblemente noble y nefasta,
o princesa de trovadores, gentilísima y disimulada,
o marquesa del siglo dieciocho, descotada y lejana,
o meretriz célebre de los tiempos de nuestros padres,
o no sé qué moderno -no me imagino bien qué-,
todo esto, sea lo que sea, lo que seas, ¡si puede inspirar,
    que inspire!
Mi corazón es un cubo vaciado.
Como invocan espíritus los que invocan espíritus, me
    invoco
a mí mismo y no encuentro nada.
Me acerco a la ventana y veo la calle con absoluta claridad,
veo las tiendas, veo las aceras, veo los coches que pasan,
veo a los entes vivos vestidos que se cruzan,
veo a los perros que también existen,
y todo esto me pesa como una condena al destierro,
y todo esto es extranjero, como todo.)

He vivido, estudiado, amado, y hasta creído,
y hoy no hay un mendigo al que no envidie sólo por no
    ser yo.
Miro los andrajos de cada uno y las llagas y la mentira,
y pienso: puede que nunca hayas vivido, ni estudiado, ni
    amado ni creído
(porque es posible crear la realidad de todo eso sin
    hacer nada de eso);
puede que hayas existido tan sólo, como un lagarto al
    que cortan el rabo
y que es un rabo, más acá del lagarto, removidamente.

He hecho de mí lo que no sabía,
y lo que podía hacer de mí no lo he hecho.
El dominó que me puse estaba equivocado.
Me conocieron enseguida como quien no era y no lo
    desmentí, y me perdí.
Cuando quise quitarme el antifaz,
lo tenía pegado a la cara.
Cuando me lo quité y me miré en el espejo,
ya había envejecido.
Estaba borracho, no sabía llevar el dominó que no me
    había quitado.
Tiré el antifaz y me dormí en el vestuario
como un perro tolerado por al gerencia
por ser inofensivo
y voy a escribir esta historia para demostrar que soy
    sublime.

Esencia musical de mis versos inútiles,
ojalá pudiera encontrarme como algo que hubiese hecho,
y no me quedase siempre enfrente de la tabaquería de
    enfrente,
pisoteando la conciencia de estar existiendo
como una alfombra en la que tropieza un borracho
o una estera que robaron los gitanos y no valía nada.

Pero el propietario de la tabaquería ha asomado por la
   puerta y se ha quedado a la puerta.
Le miro con incomodidad en la cabeza apenas vuelta,
y con la incomodidad del alma que está comprendiendo
    mal.
Morirá él y moriré yo.
Él dejará la muestra y yo dejaré versos.
en determinado momento morirá también la muestra, y
    los versos también.
Después de ese momento, morirá la calle donde estuvo
    la muestra,
y la lengua en que fueron escritos los versos,
morirá después el planeta girador en que sucedió todo
    esto.
En otros satélites de otros sistemas cualesquiera algo así
    como gente
continuará haciendo cosas semejantes a versos y
    viviendo debajo de cosas semejantes a muestras,
siempre una cosa enfrente de la otra,
siempre una cosa tan inútil como la otra,
siempre lo imposible tan estúpido como lo real,
siempre el misterio del fondo tan verdadero como el
    sueño del misterio de la superficie,
siempre esto o siempre otra cosa o ni una cosa ni la otra.

Pero un hombre ha entrado en la tabaquería (¿a
    comprar tabaco?),
y la realidad plausible cae de repente encima de mí.
Me incorporo a medias con energía, convencido,
    humano,
y voy a tratar de escribir estos versos en los que digo
    lo contrario.
enciendo un cigarrillo al pensar en escribirlos
y saboreo en el cigarrillo la liberación de todos los
    pensamientos.
Sigo al humo como a una ruta propia,
y disfruto, en un momento sensitivo y competente,
la liberación de todas las especulaciones
y la conciencia de que la metafísica es una consecuencia
    de encontrarse indispuesto.

Después me echo para atrás en la silla
y continúo fumando.
Mientras me lo conceda el destino seguiré fumando.
(Si me casase con la hija de mi lavandera
a lo mejor sería feliz.)
Visto lo cual, me levanto de la silla. Me voy a la ventana.

El hombre ha salido de la tabaquería (¿metiéndose el
   cambio en el bolsillo de los pantalones?).
Ah, le conozco: es el Esteves sin metafísica.
(el propietario de la tabaquería ha llegado a la puerta.)
Como por una inspiración divina, Esteves se ha vuelto y
    me ha visto.
Me ha dicho adiós con la mano, le he gritado  ¡Adiós,
    Esteves
!, y el Universo
se me reconstruye sin ideales ni esperanza, y el propietario
    de la tabaquería se ha sonreído.
FERNANDO PESSOA
(Portugal-1888)
De "Poesías de Álvaro de Campos"





                                            "El cuerpo de la fertilidad"
                                               Miguel Oscar Menassa